[Revue de blog] Mediapart « Casse sociale au conseil départemental de Haute-Garonne : stoppez ce désastre »

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Le choc, le sentiment de mépris, puis la colère et la grève, voilà les réactions des agent·es du conseil départemental de la Haute-Garonne suite à l’annonce de la suppression d’au moins 500 postes sur 7000. Premières de cordées du social, nos collègues ont écrit une lettre au président Vincini (PS). Elle est reproduite ci-dessous. Jaurès réveille-toi, ils sont devenus fous !

Stéphane BORRAS

Abonné·e de Mediapart

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Mesdames, Messieurs les Conseillers Départementaux de la Haute-Garonne

Nous écrivons cette lettre comme un appel à l’humanité.

Notre collectivité, le Conseil départemental 31, a décidé un plan social sans précédent : 500 postes supprimés, soit 7% de la masse salariale.

L’annonce de ce plan social a été d’une violence inouïe.

Elle est tombée la veille du week-end du 11 novembre, en fin de journée.

Chacun l’a reçu par mail : un message vidéo de l’élue en charge des Ressources Humaines, une affiche de Jaurès en toile de fond…

Ce n’est pas notre faute, c’est : Macron, l’Etat… On doit faire des économies, nous vous protégeons. Nous renvoyons vos collègues pour votre bien, si on ne le fait pas, nous serons mis sous tutelle, et ce sera pire, on touchera à vos primes… Et pour compenser les jours perdus, suite à cette diminution de la « masse salariale », on supprime l’organisation du temps de travail ; 12 jours de RTT en moins pour 95% d’entre nous.

Voici, de façon résumée, la teneur de l’annonce.

Quel est le sens ? La continuité de service. Comment le gain de jours de RTT d’un agent de MDS va-t-il pouvoir compenser les heures perdues par la suppression d’agents de cantine dans un collège ?

Nous, nous avions choisi de travailler plus, pour avoir plus de temps pour se récupérer du travail, d’un travail dont la pénibilité croit chaque année. Nous, nous avions choisi d’avoir plus de temps pour soi, pour nos familles.

C’est ainsi que la nouvelle dévastatrice est tombée, laissant chacun seul devant son écran, sans réponse possible, sans personne à qui adresser sa colère, son incompréhension, ses peurs et sa tristesse…. Immense.

Une annonce d’une violence inouïe, les agents n’étaient pas préparés. Une collectivité socialiste pourtant.

Jusqu’alors, intégrer notre collectivité était un gage de sécurité et de pérennité. Chacun connait les tensions dans le social, particulièrement à l’aide sociale à l’enfance tant médiatisée ces derniers temps. Impensable pour chacun qu’on réduise encore ses effectifs déjà bien insuffisants.

On aggrave encore le sort de professionnels pourtant reconnus en détresse psychologique par nos directions et même le sort des enfants que l’on doit protéger pourtant de plus en plus mal.

Depuis l’annonce de ce plan, il y a trois semaines, les collègues contractuels attendent chaque le jour le coup de téléphone qui leur annoncera la fin de leur contrat, soit le moment où ils vont tomber dans la précarité pour rejoindre ceux qu’ils accompagnaient.

Beaucoup sont là depuis des années. Une agente, secrétaire, depuis bientôt 7 ans, en rémission d’un cancer, 62 ans, une perle disent ses collègues.

Notre collègue, agent d’entretien, 50 ans, qui avait trouvé une forme d’apaisement au bout de nombreuses années de maltraitance au sein de la grande distribution. Elle s’active chaque jour pour nous permettre de travailler dans le meilleur environnement possible. Elle aussi, tous les jours, elle attend l’Appel, de toute façon on lui a laissé peu d’espoir nous dit-elle…. 90 % des agents d’entretien sous contrat doivent partir ! Le Black Friday au social…

Une collègue doit, elle aussi, quitter sa mission. Elle pleure. Des larmes pour ses enfants qu’elle élève seule, pour l’insécurité qui l’attend et qu’elle a trop connu, des larmes aussi pour le métier qu’elle laisse. Un métier qui avait d’autant plus de sens qu’elle était une enfant de l’ASE et qui s’occupait, à son tour, des enfants de l’ASE.

Chaque jour, des agents contractuels de la Direction des Ressources Humaines, annoncent les ruptures de contrats à d’autres collègues tout en attendant que tombe pour eux-mêmes, l’Appel.

Beaucoup de collègues continuent de travailler après avoir dépassé l’échéance de leur contrat de travail, en attendant l’Appel.

Notre collègue Référent ASE s’est vu annoncé par un chef, un vendredi 17h, qu’il devait partir dans 1 mois. A sa sortie d’entretien, aucun collègue n’a pu le soutenir, personne ne savait.

Cette réorganisation a dépouillé notre équipe. De 7 Référents ASE, seuls 4 resteront en poste : la sidération.

Il laisse 25 enfants qu’il avait en suivi. Des enfants pour la plupart qui ont connu des négligences, maltraitances et surtout, l’Abandon. Un petit garçon de 4 ans placé, il est son 4ème Référent…. Lui aussi va disparaître, comme les précédents, sans pouvoir prendre le temps de se séparer, de se voir même confié à un autre.

Parlons aussi de ceux qui restent. Comment continuer ? Lorsqu’une mission est atteinte, c’est l’ensemble d’une équipe qui est mise sous pression : l’accueil, la polyvalence, la PMI, l’APA….

Lorsque le chiffre guide, le non-sens règne dans le travail. Dans ce discours, l’humain ne vaut rien au regard du chiffre. La rigueur budgétaire s’impose comme un discours implacable, impérieux. Elle écrase, broie. Comme pour les gros groupes, l’humain devient la variable d’ajustement.

Concernant notre Président, on nous parle de courage politique.

Mais de quel courage parle-t-on ? Est-ce du courage que de s’attaquer aux plus fragiles, aux plus précaires ? Le courage n’aurait-il pas été plutôt de demander aux cadres des concessions, diminuer les strates administratives, réorganiser pour recentrer sur l’humain, sur les missions régaliennes du département au risque de moins séduire les électeurs ? Peut-être aussi le courage de ne rien faire, d’attendre le vote de l’allocation de l’Etat aux collectivités territoriales ?

Il est temps de rompre avec ce qui a été fait précédemment nous dit-on…

Pendant ce désastre, certains élus circulent en voiture avec chauffeur, le salaire mirobolant de notre DGS a été re-questionné par le Préfet, des cadres continuent à être recrutés dans les directions.

Alors que vaut une embarcation sur laquelle on multiplie les barreurs, en diminuant le nombre de rameurs ?

Comme vous pouvez le lire, nos sentiments alternent entre vécu de trahison, colère et profonde incompréhension mais surtout, une immense tristesse de voir nos valeurs, ce en quoi nous croyions dans nos missions foulés, sacrifiés par ceux qui pourtant les portent si haut.

Parce que nous croyons en l’humanité, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs les élus de stopper ce désastre.

Un collectif d’agents du Conseil départemental de la Haute-Garonne